Kate – Magasin de prêteur sur gage
Le récit de mon frère terminé, je me massai la tête digérant toute cette histoire. J’étais surtout effarée d’apprendre que mon frère aurait pu mourir. S’il n’avait pas eu cette armure ni cet homme…
Je… Je ne sais pas ce que je serais devenue.
— Malheureusement, je ne peux pas te dire la source de ce phénomène.
Toujours dans son histoire, mon frère me coupa dans mes pensées.
— Je m’en doute. Mais c’est quand même bizarre, ces créatures qui nous ont attaquées, elles viennent…
— De jeux vidéo, je sais…
Vick le dit avec une telle facilité et fierté que j’en étais désemparée. Cette situation avait l’air de lui plaire. Ses yeux brillaient de curiosité, comme lorsqu’il avait une énigme à résoudre.
Je le sentais mal… Il faudrait que je le surveille de près.
— Mais comment ? Je veux dire amener un monde virtuel dans notre monde, c’est déjà une chose. Mais plusieurs.
— Et encore, il y a mieux. J’ai remarqué que ces monstres commençaient à établir une sorte d’écosystème. Certaines créatures qui ne s’étaient jamais croisées avant interagissent entre elles comme le feraient des animaux.
— Ça a l’air de te plaire.
Les yeux de mon frère étincelaient d’une lueur si intense qu’ils auraient pu rendre aveugle.
— Mais c’est génial, ça veut dire qu’elles sont douées d’une capacité d’adaptation. Une intelligence artificielle créée par l’homme n’est même pas encore capable de faire ça. On a seulement créé des IA qui pouvaient faire face à des problèmes déjà programmés en elles.
— Concrètement, ça veut dire ?
— Que ces choses, ces monstres ne sont pas des programmes, mais que ce sont des êtres vivants doués d’une conscience.
Une conscience ?
Ces créatures étaient donc vivantes. C’était impossible !
Elles étaient sorties de l’imagination de leur créateur. Elle ne venait pas de mère Nature. Aucun pixel n’avait jamais tué personne et n’avait encore moins le pouvoir de la réflexion.
Qui avait provoqué ça ? Pourquoi ? Comment ?
Ou alors…
Il y avait une autre explication. C’était dingue, mais…
Ces monstres venaient-ils vraiment de nos jeux ?
Où provenaient-ils d’un univers alternatif inconnu à nos yeux ?
Mon frère prit soudainement un air sérieux.
— Il y a aussi un autre phénomène bizarre, depuis cette attaque.
— Oui ?
— Il n’y a plus de réseau, et plus de production d’électricité.
— Oui, je l’ai remarqué, impossible de se connecter sur Speak.Net
— Exact. Par contre, les Altereurs, nos seules armes, marchent. Le hasard fait bien les choses, comme on dit.
Vick n’avait pas tort. L’Altereur était le seul outil à notre disposition pour nous défendre et il fonctionnait encore. À croire que la compagnie, qui l’avait mis sur le marché, avait prévu son coup.
Je me demande ce qu’elle aura à dire là-dessus. Une chose est sûre, la technologie provenant des Altereurs n’était pas toute blanche dans cette histoire.
— Vick, mis à part cette histoire, j’espère que tu n’essayeras plus de faire face à un dinosaure terrorisé à l’avenir.
Vick haussa des épaules, comme s’il n’était pas concerné.
— Il m’a attaqué par surprise, je te signale. Je n’ai jamais cherché à le combattre.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire.
—…
— Je suis juste…
— Inquiète, je sais.
— Tu as eu de la chance que cette armure t’ait protégé. J’espère que tu te balades toujours avec, quand tu vas à l’extérieur.
— Je t’ai parlé de…
Mon frère leva les yeux au ciel, faisant mine de passer à autre chose.
— Vick !
— Oui…
— Tu la portais, quand tu me recherchais ?
— Heu… Non…
— Pourquoi ?
Ma colère commençait à monter et Vick devait le sentir, car son sourire se raidit.
— Alors, ce n’est pas contre ma volonté, je t’assure…
— Vick !
— Comme t’expliquer ça… L’armure était à utilisation unique. Je dois la recharger en jouant une partie sur console et comme il y a plus d’électricité… Pas d’armure.
Je le regardai avec une expression sombre.
— Donc tu étais dehors sans rien pour te protéger.
— Je ne dirais pas ça, j’avais mon autre jeu, Metalboy.
— Hmmm…
Je ne sais pas ce qui m’énervait le plus, le fait que mon frère soit sorti sans aucune protection dans un monde rempli de créatures assoiffées de sang, ou qu’il soit complètement inconscient.
Bon, c’est vrai, ce n’était pas de sa faute. Le système actuel faisait que certaines cartouches devaient être rechargées en ressource en passant par une console.
Ce système de jeu était dû à un traité commercial entre Alteria et les éditeurs de jeux vidéo. C’était pour ces derniers une garantie de ne pas voir leurs technologies être développées par des concurrents. Ainsi, les joueurs devaient acheter, en plus de l’Altereur, les consoles liées au jeu.
Si, pendant d’une bataille, on se retrouvait sans munitions ou sans protection, il fallait recharger en branchant la cartouche sur la console et y jouer. De même, pour débloquer de nouveaux armements pour l’Altereur, il fallait avancer dans le jeu.
Certaines licences allaient même jusqu’à offrir des bonus comme des accessoires visuels, si le jeu était fini à 100 %. Je ne parle même pas des DLC, qui permettaient parfois de remettre un jeu au goût du jour.
Bref, un système purement commercial, qui faisait parfois débat.
Le problème c’est que nous n’avions aucune console ni électricité à disposition. Heureusement un de mes jeux avait une arme aux munitions infinies.
— Je suis désolé de vous interrompre, mais c’est moi qui ai autorisé votre frère à sortir.
Ben s’interposa gentiment entre mon frère et moi. Je pouvais voir dans ses yeux qu’il n’aimait pas les disputes.
— Je parie qu’il vous a harcelé pendant des heures.
Ben rit maladroitement.
— Vous connaissez bien votre frère. Mais il était vraiment inquiet.
— Je sais… Je sais… Mais j’aurais préféré qu’il attende sagement.
Vick se leva pour prendre sa défense.
— Attends ! Si je n’étais pas sortie, tu serais sûrement morte déchiquetée par ces reptiles.
— Oui, sûrement, mais…
— On se calme, les jeunes !
Alors que le ton recommençait à monter, Ben nous apaisa de nouveau.
— Je crois que tout le monde a compris que vous teniez l’un à l’autre.
— …
Le silence régna un petit moment, jusqu’à ce que Vick laissa échapper un petit rire.
— Héhéhé
— Ça te fait rire Vick ?
— Oui. Ça me fait plaisir de te revoir saine et sauve.
Je ne pus que sourire.
— Moi aussi.
— Bon, bah voilà. Je préfère ça. Kate !
Alors que mon frère et moi redevenions complices, Ben me montra visage grave. Il avait l’air de vouloir me demander quelque chose.
— Oui ?
— Je sais que ce n’est pas vraiment le moment pour cette conversation. Mais y avait-il avec toi d’autres survivants ? Je pourrais les abriter ici.
— Oui. Ils sont même assez nombreux.
— C’est vrai !
En entendant ma réponse, les adolescents derrière moi se levèrent pour s’approcher. Leurs yeux étaient remplis d’espoir, comme s’ils s’attendaient à avoir une bonne nouvelle. Certains d’entre eux devaient espérer voir un proche vivant. Nerveuse, je continuai de parler.
— Ils sont actuellement à l’abri dans une banque.
— Une banque ?
— Plus exactement à l’intérieur d’un coffre-fort. Ils sont sûrement plus en sécurité qu’ici, sans être offensante.
En réponse, Ben secoua sa main de gauche à droite.
— Non, non, je sais bien que ma boutique ne peut rien faire face à ce qu’il y a dehors.
De nouveau, je souris, fixant Ben.
— J’aimerais vous demander si vous voulez venir avec moi là-bas. J’avais prévu de m’y réfugier avec Vick.
— C’est assez loin ?
— Non, pas tant que ça. En plus, je n’ai pas vu beaucoup de ces créatures sur le chemin.
— Mhhhh.
— Le plus important, c’est d’être discret.
— Je vois…
Ben réfléchit, tout en regardant autour de lui.
— Il y a une possibilité d’amener du matériel ?
— Il faudrait qu’il soit transportable dans un sac à dos et léger. Car, en cas d’attaque…
— Il faudra courir. Je comprends.
Vick regarda Ben et fronça des sourcils.
— Ma sœur et moi, on peut vous défendre, mais dans le cas d’une grosse attaque.
J’acquiesçai.
— Oui. Voilà pourquoi il faut être discret.
— Moi aussi, je peux aider !
À cette voix, je tournai ma tête en direction d’un jeune garçon aux cheveux rouges, quelques mèches noires prouvaient qu’ils étaient teints.
— Tu es sûr ?
— Je ne suis pas du genre à aider les autres. Mais là, c’est une question de survie.
Le garçon avait une voix froide et claire. Je ne sais pas s’il avait une confiance parfaite en lui, ou s’il n’était pas conscient du danger. Pour appuyer ces propos, il montra son Altereur, qui était attaché à son poignet.
Je devais accepter son aide. Nous n’étions pas de trop pour protéger tout le monde. Un garde du corps en plus ne se refusait pas.
Néanmoins, quelque chose me gênait chez lui. Ce garçon était vraiment en mauvais état, ses vêtements étaient sales et troués. Son visage était fatigué, et son regard éteint, comme s’il avait vécu beaucoup trop de choses pour son âge.
Qu’avait-il vu ?
Qu’avait-il vécu ?
Je ne le saurais peut-être jamais.
— D’accord. Donc on sera trois à défendre.
Ben baissa les yeux convaincus.
— De toute façon, je crois qu’on n’a pas le choix, il faut se rassembler. Plus on sera nombreux, plus on pourra facilement être secouru. Si on se disperse, on aura du mal à nous trouver.
Vick hocha de la tête.
— C’est sûr qu’il vaut mieux faciliter les recherches.
Je fixai Ben, et lui posai la question qui me brûlait les lèvres depuis un bon moment.
— Quand voulez-vous y aller ?
— Maintenant !
J’affichai une expression perplexe face à cette réponse.
— Vous êtes sûr ?
— Oui, le plus tôt sera le mieux.
Ben se tourna vers le groupe et tapa dans ses mains, comme un professeur voulant attirer l’attention de ses élèves.
— Allez, tout le monde, préparez vos affaires et attendez-moi devant la porte de devant.
Tout le groupe se mit en action, prenant sacs, manteaux et le reste. Pendant ce temps, je sortis à l’extérieur, pour regarder les alentours.
Vick me suivit. Je lui fis un grand sourire.
— Je suis vraiment contente que tu ailles bien, Vick.
— Ton petit frère est plus solide que tu le crois, tu sais.
— Oui. Mais… Tout ça… Tous ces événements… J’ai vraiment imaginé le pire.
— Arrête d’angoisser. Toute cette histoire vient juste de commencer, il va falloir survivre jusqu’à l’arrivée des secours. Du moins s’ils viennent un jour.
Je grimaçai.
— Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
— Ce phénomène ne touche peut-être que notre ville, ou alors le monde entier. Si c’est le cas…
Je lui lançai un regard abattu et lui coupai la parole.
— Personne ne viendra nous sauver… C’est ce que tu veux dire.
Vick soupira.
— Peut-être même que ce monde deviendra notre quotidien.
Je me mis alors à rire nerveusement.
— Tu parles comme si on était dans une de ces séries télé, où l’histoire se passe après une attaque de zombie.
— J’espère que je me trompe.
— Moi aussi…
Nous restâmes silencieux pendant un moment, méditant sur nos paroles.
Notre quotidien ?
Franchement, je ne souhaitais pas ça. Une vie où il fallait surveiller nos arrières, où il fallait se battre pour manger, boire ou vivre. Personne ne voulait ça. C’était même impensable.
C’est alors que Ben sortit sa tête de la porte, nous faisant signe de la main. Grâce à lui, je remis mes idées noires au placard.
— Eh ! C’est bon, nous sommes tous prêts.
Je pris une grande inspiration et lui répondis calmement.
— Alors, on y va !
Comme je connaissais le chemin, je me retrouvai en tête de file, accompagné de l’autre jeune garçon. Quant à Vick, il surveillait nos arrières en cas d’attaque-surprise.
Après plusieurs minutes de marche silencieuse, je décidai de commencer une conversation, pour essayer de briser la glace avec mes futurs camarades.
— En fait, comment vous appelez-vous ?
Pour commencer, je regardai mon compagnon de route aux cheveux rouges.
— Jim.
Jim ne se donna même pas la peine de me regarder. Il observait juste l’horizon, tout en remontant son écharpe rouge au niveau de sa bouche. Je fixai ensuite la fille de gauche se trouvant derrière moi.
— Et vous ?
— Sarah
La jeune fille sourit timidement, aussitôt un des garçons continua les présentations.
— Moi, je suis Jake, et lui, c’est Max
À mon tour, je souris. Vu leurs ressemblances, je me permis de leur poser une question indiscrète.
— Enchantée. Vous êtes frère ?
— Non ! Pas vraiment, nous sommes amis. On était en train de sortir de cours, quand…
Le visage des trois adolescents s’assombrit. Je préférai arrêter là, la discussion. Je sentais que leurs esprits étaient encore perturbés par les événements.
La cicatrisation allait être longue pour certains. Surtout pour des enfants qui n’avaient jamais vécu de guerre ou de catastrophe. En fait, j’étais dans le même bateau.
Heureusement, sur le chemin aucun de nous ne fut blessé. Nous n’avions subi aucune attaque. Nous croisâmes qu’une seule créature sur notre route.
À première vue, elle avait l’air inoffensive. Pourtant, Vick nous arrêta et demanda à l’observer. Au début, je ne compris pas sa requête. Mais comme il était celui qui connaissait le plus l’univers des jeux vidéo, je préférais l’écouter.
Cachée, derrière des gravats avec le reste du groupe, je regardai en silence cette petite créature. Elle était aussi grande qu’un petit ballon de football. Sa forme rappelait grossièrement celle d’un crabe. Sa carapace était de couleur crème.
La créature se déplaçait comme un chiot maladroit relevant ses pattes plus haut que nécessaire. Quand d’un coup le crabe sauta sur un cadavre humain. Sur le dos du mort, il rampa jusqu’au sommet de la tête, puis il engloba tout le crâne avec son corps. C’est alors que le cadavre fut pris de violents spasmes musculaires.
Je regardai la scène horrifiée. Cette chose était en train de dévorer le corps d’un être humain. Ce qui expliquait certainement le peu de cadavres que j’avais vu.
— On part. Il ne va pas s’occuper de nous. Mais, il vaut mieux ne pas être là quand il aura fini.
J’étais d’accord avec lui. Nous continuâmes notre route, jusqu’à atteindre les portes vitrées de la banque.
Soulagée d’être à bon port, je jetais une dernière fois un coup d’œil à la rue. Le soleil couchant embrasait de ses rayons les immeubles, dessinant de grandes ombres sur le sol. Ce paysage aurait fait une belle photo, si tout autour de nous s’il n’y avait pas que des ruines.
Le pire était d’entendre au loin le hurlement d’une créature non identifiée. Suivi d’une cacophonie de grognements qui s’éleva en réponse.
Mon corps frissonna. Bizarrement, je sentis que nous n’étions pas en sécurité, même dans cette banque.
J’espérai que Vick avait tort. Que ce nouveau monde ne deviendrait pas notre quotidien.