Kate – Lieu inconnu
Alors que les ténèbres m’entouraient, un fil blanc apparut. Guidée par cette source de lumière, j’ouvris mes yeux avec difficulté. La première chose que je vis fut des néons éblouissant sur un plafond terne.
Je me relevai, remarquant que j’étais dans une pièce aux murs gris. Elle n’avait aucune fantaisie, pas de peinture ni de papier peint. La seule décoration était des millions de tiroirs qui tapissaient chaque recoin. Au milieu trônaient deux grandes tables blanches.
Plusieurs personnes habitaient l’endroit. Ils étaient même en surnombre par rapport à la taille de la salle. Certains étaient debout tête baissée, d’autres étaient recroquevillées par terre, comme pour se cacher du monde.
— Où… Où suis-je ?
— Ah ! Enfin, vous êtes réveillée. J’ai eu peur que vous ne soyez tombée dans le coma.
Un homme se présenta devant moi. Il avait l’air d’avoir dans la cinquantaine. La première chose que je remarquai fut son uniforme bleu. Il était semblable à celui d’un agent de l’ordre, sauf que l’écusson au niveau de sa poitrine était celui d’une compagnie de sécurité.
Inquiet, il me montra quatre doigts dodus.
— Vous voyez combien de doigts ?
Troublée, je lui répondis.
— Quatre. Je vois quatre doigts.
Soulagé, il soupira, montrant un petit sourire sur son visage rond.
— Merci, mon Dieu, vous n’avez pas de problème cérébral.
Le regard perdu, je lui montrai du doigt les gens qui m’entouraient.
— Attendez, là ! Je suis où ? Qui sont-ils ?
— Calmez-vous. Nous sommes dans le coffre-fort de la banque H…
Surprise, je me retins de crier.
— Quoi ? Le coffre-fort ? !
— Oui, nous avons suivi le protocole antiterroriste, qui demande de…
Alors que l’homme de sécurité parlait, une vive douleur me frappa au crâne.
Oui ! Je me souviens.
C’est en voyant de la fumée au loin que je m’étais précipitée hors de chez moi. J’ai pensé tout de suite à une attaque terroriste. Pourtant c’était stupide, ça faisait plusieurs années qu’une telle attaque n’avait pas eu lieu.
Surtout après la mise en place du protocole de sécurité. Depuis lors, aucune bombe n’avait explosé. Je croyais même que ce système avait été mis à la poubelle depuis longtemps.
Si je me souvenais bien, ce protocole consistait à mettre en sécurité tous les citoyens dans un lieu désigné par la mairie. Chaque quartier avait le droit à un abri anti-terroriste de bonne fortune.
C’était donc ça, ce qui s’était passé ?
Une attaque terroriste déclenchait par des humains stupides.
Pourquoi ? Qui avait fait ça ?
Je croyais que les conflits sur cette terre étaient résolus depuis un bon moment.
Je regardai alors mes bras et mes jambes. Ils étaient bien écorchés.
— Qu’est-ce qui m’est arrivée ?
— Vous avez eu un accident !
Oui, c’est vrai.
Angoissée, j’avais pris ma voiture pour chercher mon frère. Je savais qu’il était dans le coin. Je devais donc absolument vérifier s’il allait bien. Je roulais vite, mais pas comme une folle. Puis d’un coup…
Je tiens soudainement ma tête avec mes mains. J’avais atrocement mal.
— Un accident ?
La voiture…D’un coup, n’a plus répondu, j’ai perdu le contrôle et j’ai percuté quelque chose. Après je ne me souvenais plus de rien, c’était le trou total.
— Mon collègue et moi, on vous a vu alors qu’on évacuait des gens vers la banque. Aussitôt, il s’est précipité vers vous et vous a sorti de la voiture.
— Où est-il que je le remercie ?
À ces mots, le garde de sécurité baissa la tête.
— Il n’est plus là.
— Comment ça ?
— Quand je suis venu l’aider, quelque chose nous a attaqué.
— Un terroriste ?
— Non, ce n’était pas humain… Mon collègue a d’abord essayé d’éloigner la chose en utilisant son taser, mais son arme n’a pas répondu. Donc il s’est rabattu sur sa matraque, mais elle a rebondi sur cette chose… Et puis, celle-ci l’a attrapé d’un coup au niveau du bras… Oh mon Dieu ! J’entends encore ses cris…
L’homme devant moi avait les yeux humides, mais il essayait tant bien que mal de faire bonne figure.
— Il m’a dit de partir avec vous. Je vous ai pris par l’épaule. Je n’ai rien pu faire. Je ne le voyais plus. J’entendais juste ses hurlements. J’aurais peut-être dû faire demi-tour.
Je tapotai l’épaule de cet homme qui aurait pu être mon père et lui fit un gentil sourire.
— Vous m’avez sauvé la vie. Si cette chose est réelle, qu’est-ce que vous auriez pu faire ?
— Rien… Je suppose, rien… Mais, bon sang, qu’est-ce que c’était ?
Je n’étais pas bête, je voyais bien qu’il s’était passé quelque chose. Mais le tout était de savoir quoi ?
Cette chose était-elle une illusion créée par une arme toxique ?
Où était-elle vraie ?
Si c’était le cas, à quoi ressemblait-elle ?
— Je suis désolée de vous demander ça. Mais cette chose, elle ressemblait à quoi ?
L’homme prit une grande inspiration. Le silence régnait, il avait l’air de prendre son temps pour répondre comme s’il cherchait ses mots.
— Elle était de taille humaine, ses doigts étaient très longs, son visage était… je dirais rond… Le plus choquant était le liquide rouge qui dégoulinait de sa tête jusqu’au torse.
— Du sang ?
— Peut-être ! Mais il y avait de la poussière partout, à cause des explosions. J’étais terrorisé, donc… Je ne sais pas vraiment si j’ai bien vu.
— Désolée de vous avoir demandé ça.
— Non, ce n’est pas de votre faute…
De nouveau, il prit un air triste, et détourna son regard.
— Combien de temps ai-je dormi ?
— Je dirais… pas plus de deux heures.
— Je vois… Vous n’auriez pas vu un garçon de 17 ans, cheveux marron, t-shirt beige, gilet vert…
— Non désolé… Toutes les personnes que j’ai pu sauver sont ici.
C’est clair, mon frère n’était pas là. Je devais absolument le retrouver, le voir. Si par malheur, il lui était arrivé quelque chose. Je ne savais pas ce que je deviendrais. Il fallait que je me lève, et que je parte à sa recherche.
— Attendez ! Vous allez où comme ça ! Reposez-vous.
Alors que je marchais en direction de la sortie, l’homme en uniforme m’interpella en posant sa main sur mon épaule. D’un geste vif, je rejetai sa prise, et lui jetai un regard déterminé.
— Je vais chercher mon frère.
— Vous êtes folle. C’est dangereux dehors.
— Oui, et c’est pour ça que j’y vais.
Je m’avançai péniblement en direction de la porte en métal circulaire. Je dus l’enjamber tellement elle était épaisse. Heureusement pour moi, elle était un peu entrouverte, si elle avait été fermée, je ne sais même pas si j’aurais eu la force de l’ouvrir.
Toujours en me tenant la tête avec une main, je pénétrai dans une autre salle. Du coin de l’œil, je vis l’homme de la sécurité courir derrière moi. Je pensais qu’il allait m’arrêter et que j’allais devoir me battre pour partir de cet endroit. Mais j’avais tort.
— Faites attention !
Il s’arrêta au palier de la porte et me hurla cet avertissement. En réponse, je lui fis un signe de la main, et je continuai d’avancer.
Dès que je retrouverais mon frère, je reviendrais ici. Cette banque avait l’air accueillante et sécurisée. Un endroit idéal pour passer le temps avant l’arrivée des secours.
Le seul problème était cette migraine. Je ne savais pas ce que ma tête avait cogné. Mais c’était douloureux. Par chance, je ne saignais pas. J’espérais juste que cet état ne me ralentirait pas pendant mes recherches.
Alors que je traversais un petit couloir recouvert de dalles blanches, je vis une porte au loin. Je l’empruntai et arrivai dans la pièce centrale de la banque.
Cet établissement n’avait vraiment rien à voir avec les banques secondaires, celle avec les distributeurs automatiques. Là, il y avait des comptoirs, des fauteuils luxueux, un décor de bon goût. Chaque recoin de la salle sentait l’argent. Mon abri n’était rien d’autre qu’une de ces rares banques « Old school », qui marchait à l’ancienne. Pas de machine, que des employés. Un rapport 100 % humain, pour un taux exorbitant. Un endroit qui n’était pas fait pour moi, une personne appartenant à la classe moyenne.
Sur mon chemin, je vis un énorme rideau de fer qui coupait la salle en deux. Entre l’épais grillage, on pouvait entrevoir les portes menant à l’extérieur.
Heureusement, je n’avais pas à couper le métal. Le rideau était un peu surélevé, permettant de passer en dessous. Cet homme avait sûrement laissé un passage de libre pour recueillir d’autres civiles. Une idée gentille, mais pas très intelligente si l’on prenait en compte que les terroristes savaient aussi se mettre à quatre pattes.
Devant moi se présentèrent quatre portes aux vitraux floraux magnifiques. Quand je saisis une des poignées dorées, je pris une grande bouffée d’air. J’espérais sincèrement que les paroles de cet homme en uniforme étaient fausses.
« Peut-être que j’aurais dû rester à l’intérieur » fut ma première pensée en voyant l’extérieur.
Quand on parle de catastrophe, on imagine toujours les pires situations. La voir en vrai, c’est autre chose. La rue était entièrement en flammes, l’ambiance était lourde. On sentait une odeur de soufre dans l’air, très désagréable. J’avais l’impression que le soleil s’était arrêté de briller. Alors qu’il était encore là, plus étincelant que jamais.
Je fis plusieurs pas, regardant de gauche à droite. Je ne voyais que des véhicules fracassés contre des bâtiments ou écrasés au sol. Par endroit, le bitume était perforé de trous béants. Des flammes dansaient le long des murs, mais toujours en solitaire. Le plus surprenant était de voir des morceaux de verre, ou des taches de sang, sans qu’il n’y ait aucun corps. Il n’y avait plus aucune trace d’êtres humains dans les parages.
J’avais cette impression d’être seule au monde, une sensation très angoissante. Alors que j’étais pourtant de nature solitaire.
C’est alors qu’au loin, j’identifiai ma petite voiture rouge. Elle avait tout le côté droit défoncé. La porte de gauche était grande ouverte, c’est sûrement par là qu’on m’avait extirpée.
Je ne comprenais pas comment j’avais eu cet accident. Je me souvenais juste que, brusquement, plus aucune commande ne répondait. Le tableau de bord était devenu fou, puis il s’était éteint, sans aucune raison.
D’où était venu le problème ?
En m’approchant, je vis la photo de mon frère toujours accrochée au pare-soleil. Délicatement, je la pris pour la ranger à l’intérieur de ma poche.
Je me souviens alors du message que mon frère m’avait laissé sur Speak.net. C’est grâce à ça que je savais où il était avant l’attaque. Heureusement que ce réseau social existe.
En regardant mon Altereur accroché à mon poignet, je compris que quelque chose n’allait pas. Même après le choc de l’accident, il marchait toujours. Là n’était pas le problème. Cette montre était reconnue pour être très solide.
Ce qui était étonnant, c’était qu’il m’était impossible de me connecter au réseau Speak.net. Je n’avais accès à aucune application, dont la plus importante, celle de la messagerie. Je ne pouvais donc ni demander de l’aide ni contacter mon frère.
Pourtant, il était prévu qu’en cas d’attaque tous les moyens de communication devaient être disponibles.
Quelle a bien pu être l’ampleur de cet assaut ? Étions-nous la seule ville touchée ?
Je n’avais pas le choix, je devais avancer. Personne n’était là pour m’aider. Sans ce réseau, j’étais sourde, muette et aveugle. Seules mes jambes pouvaient me porter vers mon petit frère.